Les lignes du désir

L’œuvre de Fernanda consiste en un assemblage de sept photos, provenant d’une part d’un volcan de son pays d’origine, le Xinantécatl , au Mexique, d’autre part d’une montagne de son pays d’adoption, les pentes du Tourmalet dans les Pyrénées, en France. Devant ces photos, comme un lien d’acier adouci par la couleur rose, des rails, que l’on pourraient imaginer comme le moyen d’un voyage entre ses deux lieux, utilisant des espaces non terrestres.
En cheminant sur la voie verte, à un certain endroit très précis, on regarde en direction de ces sept photos, on est stoppé, on s’arrête. Grâce à une sorcellerie qui agit sur nos yeux, il ne reste plus qu’une image, celle d’une montagne qui n’existe pas, enfant d’une tectonique improbable, une chimère géographique à la beauté austère. On savoure le moment. On reste debout, là, à cet endroit précis, car on voyage sans bouger, on relie des lieux lointains. On reprend la marche et l’image se disloque peu à peu, la montagne se désagrège, rendant au Mexique ses parcelles de Xinantécatl et à la France ses bribes de Tourmalet. Nous n’avons plus qu’une seule envie, recommencer encore et encore, pour retrouver le plaisir de créer un monde sans bouger, sans dépenser d’autre énergie que celle de nos quelques pas.

Jean-Luc Grenier

La gare de Mouchan qui accueille l’œuvre de Fernanda Sanchez Paredes sur son royaume de l’itinérance douce est un jumelage, un pont, un dialogue entre deux pays, la France et le Mexique qui ont imprégné sa vie, de la jeunesse à l’âge adulte, de son lieu de naissance au lieu où elle a posé ses valises. Cette double identité nous fait voyager, dans nos cœurs et dans nos cerveaux. La voie verte de l’Armagnac s’enrichit d’une vision magique et surprenante avec une vue spectaculaire réunissant deux continents, deux cimes, deux chaines de montagnes. La voie de l’ancienne voie ferrée, connexion pendant longtemps entre différentes gares, propose une halte entre un lieu A et un lieu B à la gare de Mouchan. Vu de vélo ou en footing, personne ne pourrait détecter que Fernanda a créée « un collage » de deux chaines de montagnes avec sept photos. C’est stupéfiant ! En passant, on dirait que c’est une image d’une seule chaine de montage. Comment sur une distance de 10 000 km, avec un océan au milieu, les roches peuvent se ressembler tant ? La route se poursuit entre les Andes et les Pyrénées. Seul le ciel change avec ses couleurs différentes. Il faudrait s’arrêter, descendre de son vélo ou cesser de courir pour percevoir les détails de la mise en place du jeu visuel. Il n’y a pas de trucage, seulement une rencontre, entre deux mondes, deux continents, deux visions de paysages. Le spectateur est invité, en faisant des allers / retours entre les photos, à découvrir la beauté de chaque image. La balade par excellence d’une excursion en « slow motion » invitera à aller plus loin dans la découverte des trois autres sites du chemin d’art. Grâce au thème de l’itinérance douce, l’artiste a inventé avec hardiesse, à travers son cheminement de vie, comment un parcours personnel peut se refléter dans une œuvre. La mise en abîme entre deux mondes, deux vies nous fait réfléchir sur la nôtre. Le dialogue entre la France et le Mexique, se trace sur une crête, une ligne, un horizon. Cette ligne de contact est le rail de train qui resurgit de temps en temps.

Le point de vue qui nous amène dans un regard juste est un seul endroit, un où la logique devient éminente, le point rose. Mais encore une fois, Fernanda joue avec nous, pour que nous jouions avec son œuvre. En découvrant ce point culminant qui donne les explications à l’ensemble de son installation, chaque spectateur, petit ou grand, trouvera le bonheur de la sublimation. Les lignes qui convergent vers ce point, unissent les images. Ce n’est pas un point de fuite. Bien sûr en circulant entre les photos et avec l’effet de l’approche, les petits détails deviendront de grandes surprises, par exemple le jeu entre lumière et ombre. Justement là est le plaisir de regarder une œuvre d’art qui taquine le visiteur et cherche à l’intégrer entièrement dans l’œuvre, en donc acteur.

Entre le volcan « Xinantécatl » ou le « Nevado de Toluca » au Mexique et les collines du Tourmalet dans les Pyrénées il n’a pas seulement l’Atlantique, mais aussi une différence de 2 000 m d’altitude. Seulement Fernanda a pu, avec son regard de photographe, son œil d’aigle, son objectif, voir la liaison entre les deux cimes. Les montagnes ne sont pas simplement des montagnes, chacune d’elles a ses spécificités et sa noblesse, sa beauté et sa voix. Mais curieusement les formes et la couleur entre les cimes se correspondent et communiquent entre elles, en se donnant des réponses entre continents. Chaque photo en soi-même est une photo individuelle et unique. Aussi, les sept réunies se déploient en installation, en pont, en vision, l’œuvre prend sens dans un dialogue entre les mondes, entre les peuples et entre les paysages. C’est là la force de l’art. L’art contemporain a cette capacité de communiquer du sens, plus que devenir simplement image. Chacun et chacune est invité à la possibilité de voir, d’interpréter comme il / elle veut. Mais la présence du sens de l’œuvre reste dans nos mémoires, ancré pour toujours, comme un stimuli de réflexion.

Claus Sauer

Commissaire d’exposition

Ateliers d’écriture avec les élèves de l’école de Mouchan

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